Hit Me One More Time

Né dans l’entre-deux-guerres d’un couple de commerçants, mon grand-père grandit dans une époque fortement marquée par le nationalisme. La Hongrie est sous le choc de la Première Guerre mondiale, dont elle est sort perdante et amputée des deux tiers de son territoire. Le jeune Imre Miklos Galbats fuit son pays natal à l’arrivée de l’armée russe à la fin 1944.
Après trois années passées dans différents camps de rapatriement en Allemagne, encore sous contrôle allié, mon grand-père, réfugié et apatride, rencontre une jeune Française, ma grand-mère, près de Metz en Lorraine. Décidée à partir au Maroc, elle quitte la France en 1949 pour aller travailler à Casablanca, où Miklos la rejoint un an plus tard. Après leur divorce, au bout de quelques années, Miklos se remarie et vit jusqu’en 1969 au Maroc, puis il s’installe définitivement en Provence aux alentours d’Avignon où il passera le restant de ses jours.

Je n'ai jamais connu Miklos Imre Galbats, mais son absence a suffisamment nourri l’imagination de l’enfant que j’étais, pour servir de point de départ et de moteur au travail que je présente dans ce livre. C’est en considérant mes origines que j’ai pu découvrir un pays, celui que mon grand-père expatrié a probablement regretté toute sa vie. Le pays qui lui a fait comprendre le sens des mots saudade et Heimat. Sur son passeport, délivré par le Troisième Reich, il avait d’ailleurs griffonné au crayon l’hymne national hongrois.

Aujourd’hui encore, presque soixante-quinze ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, des millions de gens, venus d’Afghanistan, du Proche-Orient ou bien d’Afrique, fuient des guerres sans fin. La Hongrie, en tant que premier pays de l’espace Schengen sur la voie des réfugiés vers l’Europe de l’ouest, a répondu à l’afflux de migrants en fermant la fameuse route des Balkans et en baissant un nouveau rideau de fer à la frontière serbo-hongroise.

Vivre et grandir au cœur d’une Europe ouverte, où les frontières n’existent quasiment plus, nous fait parfois oublier que cette Europe a aussi ses limites. La barrière anti-migrants au Sud de la Hongrie en est la matérialisation, et elle a définitivement changé mon point de vue dans ce travail. Ce nouveau mur contredit l’image de grand défenseur des droits de l’Homme que l’Union européenne aime donner d’elle-même. Les décideurs à Bruxelles n’ont pas pu empêcher la construction de cette clôture, entre autres. Un dilemme qui illustre bien la situation dans laquelle se trouve la politique européenne. Fondée sur de nobles principes comme la paix, la justice, l’ouverture ou le libre-échange entre les différents pays membres, l’Union n’arrive plus à dissimuler ses déchirures.

Des démagogues comme le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, s’aventurent sur un terrain glissant quand ils légitiment leurs décisions en parlant de notre culture chrétienne, de notre civilisation et donc de notre Europe. De tels propos nous imposent de penser en noir et blanc et dessinent un monde où eux ne sont pas comme nous et n’auraient donc pas leur place ici.

C’est donc en sillonnant la Hongrie que j’ai mené mon enquête face à une Europe fissurée par son Histoire.